appel à communicationDes voix acousmates en littérature, Rennes 2, 6-8 septembre 2017/ Acousmatic voices in Literature,
Ce colloque propose de partir à la recherche des voix délaissées par la critique, non pas les voix énonciatives ou narratives mais les voix plus énigmatiques et secrètes qui ne se donnent pas facilement à entendre ou à voir dans l’écriture. Car, selon Claude Jamain, pour trouver la voix, ‘il s’agit d’aller sous les apparences, sous la couverture des choses, peau, surface peinte ou langage pour retrouver les sons de l’origine’ (Idée de la voix). Ainsi, le lecteur tel un disciple de Pythagore écoutant les leçons du maître dissimulé derrière un voile, est invité à percer le mystère des voix de l’écrit.
D’un côté, l’écriture est vue comme une perte de la voix sonore et auditive. De l’autre, elle est une tentative de rendre audibles et visibles les voix impénétrables et les bruits non verbalisables. Précisément, l’écriture acousmatique se proposerait de faire entendre ce que Roland Barthes appelle ‘le bruissement de la langue’, pour redonner une possibilité aux voix enfouies dans le caractère figé du langage convenu.
Nombres d’écrivains ont donné une chance aux musiques du langage, au chant, aux voix discrètes voilées, filets de voix fluettes, messes basses, aux acousmates transformés en poèmes (Eluard, Apollinaire). Beaucoup ont aussi laissé affleurer ou crier des anomalies sonores (cris d’animaux ou de marginaux chez Flannery O’Connor), une masse de voix voilées par l’écriture, des acousmates (du grec, ‘ce qu’on entend’) définis comme des ‘bruits de voix humaines ou d' instrumens qu' on s' imagine entendre dans l' air’ (dictionnaire de l’académie française), ‘négativité de la voix du sujet dans le langage’ (A-Christine Royère).
Tout se passe comme si l’écriture abritait deux types de voix contradictoires, entre composition sonore mélodieuse et bruits parasitaires dérangeants, « votre voix » nous dit Yves Bonnefoy « a en elle des fièvres et a voulu la musique » (La Vie Errante, 1993, 131). Entre ‘fièvre’ et ‘musique’ donc, la voix acousmate laisserait-elle dans son sillage des pistes picturales, sonores et visuelles, des musicalités ? Ainsi Barbara Guest (poète américain de l’école de New York) cherche à capturer sur la partition poétique toutes ces ‘musicalités’ de la nature, “une perle de culture arrachée à son coquillage’, “une chaîne d’oiseaux miniatures,” “un ailleurs, une cachette, une forme secondaire du discours, [...], ce petit écho qui hante le poème” (“Wounded Joy,” Forces of Imagination). Peut-on alors parler d’une musique acousmatique de l’écrit qui réconcilierait les bruits du monde avec les rythmes poétiques bien pensés et harmonieux ? Chez Patricia Eakins, écrivain américain du 20ième siècle, les rythmes musicaux compensent le caractère indéterminé de son univers et accompagnent le sens de ses nouvelles fantastiques. Derrière cette composition acousmatique qu’est la page écrite, y-aurait-il un désir de retour à la voix idéalisée de l’enfance ou à celle de la mère, une ‘expérience toute physique de l’enfantement du langage à laquelle le sujet se ressource ‘ (Patrick Quillier), la quête d’une voix quasi édénique, pré-linguistique, proche de celle des enfants ou des animaux (Henri Michaux). Quel sens peut –on donner à ces acousmates, bruits hypothétiques (les chants de l’au-delà , ‘les bergers (qui) écoutent ce que disent les anges’ dans « Acousmate » d’Apollinaire), ou bruits disgracieux qui fissurent ou déchirent la tranquillité du texte ? Les acousmates, sont-ils proches des raclements dans la gorge ou des sons d’une mélopée ? Ont-ils un but esthétique, poétique ou philosophique ?
Visent-ils à relayer les voix de l’œuvre pour faire saillir la voix unique et singulière de l’auteur ? Autrement dit, le style de l’auteur résiderait il précisément dans l’orchestration acousmatique de son écriture ? Peut-on retrouver dans l’écrit, un tenant lieu d’une voix impossible à écrire mais aussi la voix, c’est-à-dire la patte de l’auteur ? Au lieu de voir dans l’avènement et le triomphe de la lettre une mise à mal de l’oralité de la littérature, peut-on considérer qu’il y a derrière ce voile l’occasion rêvée de faire entendre une voix en sourdine sous la lettre ? Cette voix off certes déviée ou étouffée dans le temps de l’écriture, est-elle au contraire la preuve de la vivacité de l’écrit et de la voix poétique, voix on ? Le chant de la langue serait-il à retrouver dans ces acousmates acoustiques ou silencieux, ces lieux énigmatiques inventés par un écrivain « acousmêtre » (néologisme de Michel Chion) qui cache son visage (et son message) derrière une tenture pour être mieux écouté ? Le lecteur, partiellement aveuglé par le voile tendu qui dissimule la source exacte de la voix du maître, est sollicité davantage par la dimension autre, sonore du message, cette voix mystérieuse désincarnée, sans hôte ou origine prédéfinis.
Nous nous intéresserons à cette voix sans corps (prisée par Nathalie Sarraute) polyphonique qui ne provient pas de la narration. C’est par exemple un rythme jazzy qui fait circuler le sens dans la prose obscure de Barry Hannah. Les voix acousmatiques réactiveraient-elles notre rapport poétique au monde ainsi ré exploré, appréhendé dans toute sa richesse et sa confusion ? Comment la littérature se sert-elle de la typographie des textes pour faire surgir la tonalité des voix ? La spécificité de la voix de E.E. Cummings réside-t-elle précisément dans son écriture typographique improférable et anamorphique? Peut-on voir des acousmates dans l’excentricité des signes ? Les traces ou effets de voix (ou plus précisément, le manque de voix, la déperdition ou subversion de la voix) seraient-ils vus comme salvateurs , comme ‘des bouts de langue qui s’essaient à emprisonner le soleil’ (Jacques Rancière, La Chair des Mots, 76) ? C’est précisément dans les accidents ou ratages fertiles de la voix, dans le chaos et l’hétérogénéité des voix acousmatiques que le langage retrouve ‘cette logique de l’invention’ dont parle Merleau-Ponty et qui met le lecteur sur la voie de la connaissance (ou de la révélation.). Ainsi Flannery O’Connor se sert-elle de ‘l’étrangeté vocalique’ (Steven Connor) dans ses nouvelles, des bruits des marginaux, des cris de paons comme d’un outil ironique et révélateur de la pauvreté spirituelle des personnages. Les acousmates de la littérature permettraient-ils de crier à l’oreille des sourds et des malentendants pour faire comprendre un message autrement inaccessible ?
Bibliographie sélective
Roland Barthes S/Z, Paris, le seuil, réed points essais, 1970. Roland Barthes ‘Le Bruissement de la langue’, Essais Critiques IV, Seuil, 1984.
Yves Bonnefoy, La Vie errante, suivi de Remarques sur le dessin, Poésie/Gallimard, 1993
Michel Chion – La Voix au cinéma, Ed : Cahiers du Cinéma, 1982.
Steven Connor in Myth, Modernity and the Vocalic Uncanny, in Myth and the Making of Modernity, the Problem of Grounding in early 20th c Literature, Rodopi, 1998,
Mladen Dolar, A voice and Nothing More, Short Circuit series, edited by Slavoj Zizek, , The MIT Press, 2006.
Stewart Garrett, Reading voices, literature and the phonotext, Garrett Stewart, California, University of California Press, 1990.
Jean Paul Goux, La Voix sans repos, esprits libres, éditions du rocher, 2003. Jean-Paul Goux, La Fabrique du Continu, Essai sur la Prose, Champ Vallon, recueil, 1999.
Claude Jamain, La Voix sous le Texte, Actes du colloque d’Angers, 2000 Claude Jamain, Idée de la Voix, Etudes sur le Lyrisme occidental, PUR, 2004
Brian Kane, “Acousmate: history and de-visualised sound in the Schaefferian tradition,” Organised Sound 17:2 (Fall 2012): 179–188.
Jean-Pierre Martin, La Bande Sonore, José Corti, 1998
Merleau-Ponty, La Prose du Monde, Paris, Gallimard, 1969.
Henri Meschonnic, ‘Qu’entendez-vous par oralité ?,’ Langue Française, n°56, décembre 1982, 6-23.
Patrick Quillier, « Pour une acousmatique du signe : éloge du nomadisme de la voix », Lampe-tempête, « Espaces, lieux, figures », no 4, décembre, 2007 Patrick Quillier, ‘Entre bruit et silence : Yves Bonnefoy, Maître de Chapelle ? (esquisses acroamatiques),Littérature, Année 2002 Volume 127, n°3, L’Oreille, La Voix, 3-18.
Jacques Rancière, La Chair des Mots, , Politiques de l’écriture, Galilée, 1998.
Marie-Albane Rioux-Watine, La Voix et la frontière, sur Claude Simon, Honoré Champion, collection Littérature d e notre siècle dirigée par Jean Yves Guérin, Paris, 2007.
A-Christine Royère, Henri Michaux, Voix et imaginaire des signes, Paris : Presses Sorbonne Nouvelle, 2010. A-Christine Royère, « La voix acousmate :‘dans l’acoustique du trou oblique’ (Henri Michaux et Ghérasim Luca) », in Oralités subversives, Presses Universitaires de Rennes, 2004, Anne Douaire (dir). A-Christine Royère, « Michèle Métail : poésie publique », à paraître en 2017 dans la Revue des Sciences Humaines, « Poésie & performance », O. Penot-Lacassagne et G. Théval dir.). A-Christine Royère, « Le texte, le son, l’action dans les litanies du banal d’Anne-James Chaton », communication prononcée le 11 juillet 2014 dans le cadre des journées d’étude Poetry, music and performance / organisées à l’université de Birmingham par le réseau de recherche AHRC “Contemporary French Poetic Practice : An Interdisciplinary Approach”, à paraître. A-Christine Royère « “Des chemins parallèles n’excluent pas flirts, tendresses, violences et passions” : poésie sonore et musique électro-acoustique », ces deux derniers articles ayant été coécrits avec Gaëlle Théval, à paraître.
Laurence Tibi in La Lyre Désenchantée, l’Instrument de Musique et la Voix Humaine dans la Litérature Française du 19ième siècle, Honoré Champion, Paris, 2003,
Denis Vasse, l’Ombilic et la Voix : Deux Enfants en Analyse, Le Champ Freudien, Seuil, 1974 Conference to be held in English and French
Sont bienvenues les propositions de communication mettant en jeu des auteurs différents, (nationalité, genre, période, style…. ) pour tenter de comparer et de circonscrire un peu plus ces voix acousmates.
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